Ce domaine est parfaitement reconnu, il joue un rôle central et crucial au sein de toute entreprise respectable. Les experts du domaine vont jusqu'à définir la stratégie globale de l'entreprise pour répondre au mieux aux attentes de l'utilisateur/du client.
Je ne parle pas de ce que pourrait être l'interaction homme-machine dans les entreprises informatiques de demain, mais de ce qu'est le marketing aujourd'hui, dans tous les secteurs économiques.
Sur bien des aspects, les méthodes du marketing de produits logiciels et celle de l'interaction homme-machine se rejoignent. Leurs objectifs sont très voisins, bien que l'un privilégie le prospect ou client, tandis que l'autre se focalise sur l'utilisateur. En revanche, comme dans toutes les disciplines qui s'intersectent dans l'interaction homme-machine, le vocabulaire et la culture des praticiens du marketing sont trés différents, ce qui rend la communication avec cette discipline moins évidente.
Le but de cette prise de position est de présenter en quoi l'analyse marketing peut à la fois contribuer au domaine de l'interaction homme-machine, mais aussi comment cette derniére répond à des besoins fondamentaux du marketing: la compréhension du consommateur, qui se trouve être dans bien des cas l'utilisateur, ainsi que l'obtention d'une meilleure adéquation entre les technologies mises à disposition et les besoins de leurs utilisateurs.
Après un trés bref exposé des objectifs et de la démarche du marketing au sein de l'entreprise, bien sur biaisé par une vision 'IHM' du domaine, je présenterai les divergences et points communs de la démarche 'IHM' et des objectifs du marketing produit actuel. Exemple à l'appui, je soutiens ensuite qu'une meilleure intégration des avancées de l'interaction homme-machine passe par une meilleure analyse du marché et des interlocuteurs au sein de l'entreprise capables de valoriser les apports de l'IHM. En conclusion, nous pensons que l'élargissement de l'impact de l'IHM sur les interfaces actuelles requiert une meilleure compréhension des tenants et aboutissants du marketing:
Remplacer dans la phrase précédente "custom-" par "us-": n'a-t-on pas une définition du marketing très proche de ce que pourrait être celle de la conception centrée sur l'utilisateur ? De fait, les entreprises produisant des biens de consommation courante, soumises à une concurrence féroce, déploient des études de consommateurs et des analyses avec des moyens qui rendraient jaloux un spécialiste de l'IHM: constitution de panels représentatifs, analyse statistiques poussées des réponses sur de très grands échantillons, réunions de groupes de consommateurs... Nul doute que si l'on pouvait se donner de tels moyens pour mettre au point l'interface de logiciels, ceux-ci satisferaient mieux l'utilisateur.
Mais il y a encore un meilleur motif pour le spécialiste de l'IHM d'envier le responsable marketing: Celui-ci a le contrôle complet des spécifications de base du produit. Dans les entreprises de développement de progiciels, n'en déplaise aux chefs de projets informatique, c'est le marketing qui a la responsabilité ultime de l'établissement du cahier des charges et des fonctionnalités présentes dans un produit. C'est bien là un rôle que souhaiterai tenir un responsable IHM, lui permettant d'intervenir au plus profond de la spécification du produit plutôt qu'en surface.
Par certains aspects, le marketing est en avance sur l'IHM: moyens supérieurs, importance des études à grande échelle, sous-disciplines: marketing produit, marketing marché, marketing de communication... ; de plus, le marketing insiste sur la prise en compte de l'aspect subjectif de l'"expérience du produit", ses caractéristiques de séduction, domaine qui commence seulement à apparaitre en IHM, au sein de la captologie [2].
Peut être l'un des points sur lesquels le marketing est le plus en avance sur l'IHM est la prise en compte de l'aspect générique du produit, indépendant de la tâche qui est dévolue à son utilisateur: La plupart des outils informatiques sont concus comme des outils génériques, non dévolus à une tache particuliére. Or, l'étude des facteurs humains et l'ergonomie se focalise principalement sur la tâche, ce qui est délicat pour un produit générique. Ainsi, la plupart des progiciels sont destinés à de nombreux usages, ou sont tellement flexible que son usage est voué à être détourné. Finalement, il en va du plus grand bien pour les utilisateurs qui ont droit à leur part de créativité dans la définition d'un artefact qui leur est destiné. Ce dernier rôle est à notre avis souvent sous-considéré dans les approches centrées sur l'utilisateur actuelles.
Il convient cependant de souligner une limite du "pouvoir" du marketing au sein de l'entreprise: la maîtrise de la technologie mise en oeuvre est conservée par la recherche et le développement, ce qui pose souvent des conflits et des incompréhensions dans l'analyse du besoin, l'interprétation des spécifications et la forme du produit final. Mais pour beaucoups de spécialistes de l'IHM, ce phénomène n'est pas surprenant!
La qualité intrinsèque du produit n'est pas le seul but du marketing. Il faut que l'expérience subjective et le positionnement sur le marché soient bons. Selon D. Norman [5], c'est ce qui pousse le marketing à proposer un modèle évolutif par dévelopement par "features" plus que par amélioration et extension d'un modèle conceptuel cohérent. Ceci se constate dans l'évolution des suites logicielles bureautiques: c'est cette "manie de la fonctionalité" qui a pris le pas sur l'analyse des besoins de l'utilisateur. Malgré beaucoup d'études d'utilisabilité chez Microsoft, c'est la demande primaire du consommateur qui est prise en compte le plus souvent: plus de "features" plutôt qu'une étude poussée du workflow des usagers.
Après avoir présenté toutes les raisons qui peuvent pousser un spécialiste de l'IHM à se présenter au concours d'HEC, il faut cependant bien admettre que le marketing peut apprendre et bénéficier de l'IHM:
Tout d'abord, la pratique de l'IHM est une expérience pluri-disciplinaire et reconnue comme telle, alors que le marketing se voit plutôt en tant que discipline 'centrale' au sein de l'entreprise, au risque de perdre des apports non-conformes à ses usages. Surtout, l'origine de formation (le "background") des spécialistes de l'IHM met l'emphase sur une approche scientifique, qui sans être absente de la pratique, ne constitue pas un élément fondateur de la culture mercatique. Le spécialiste de l'IHM peut également revendiquer une plus grande connaissance des moyens humains (pour les formations de base en ergonomie) et matériels (pour les informaticiens) à disposition. Une plus grande attention est portée sur la distinction entre efficacité réelle du systéme dans son environnement d'utilisation par rapport à l'efficacité subjective du produit pris isolément.
Certains [6] opposent des conceptions orientées "marketing" aux conceptions centrées sur l'utilisateur. Pourtant, dans ses objectifs, le marketing se donne bien le but de fournir un meilleur produit. Ce qui, à notre avis, manque peut être le plus au marketing de produits de haute technologie, et auquel l'IHM peut apporter des solutions, c'est d'opérer une certaine distanciation vis à vis des souhaits des utilisateurs pour savoir proposer une réponse sous forme de modèle conceptuel plutôt que comme une liste de fonctionalités requises. C'est, à mon sens, le message essentiel à passer de l'IHM au marketing.
Ainsi, des fonctionnalités telles que les marking-menus, la hotbox [7] ou les palettes activées avec la main non-dominante [8], en somme l'essentiel de la production du groupe de recherche en Interaction homme-Machine chez Alias|Wavefront, ont pu être réalisées grâce à l'intervention directe du marketing pour planifier le temps de développement et d'adaptation nécéssaire auprès de la recherche et du développement.
C'est en analysant les préoccupations du marketing que l'on a les meilleures chances de faire évoluer les produits informatiques vers une plus grande utilisabilité. Lecon d'humilité oblige, il faut savoir reconnaître que toute amélioration portée à une interface ne se justifie pas nécéssairement du point de vue du marché. D'une manière générale, on considère en marketing qu'un changement radical de modêle conceptuel ou d'interface pour un produit n'est justifié que si l'apport qui en résulte est d'un ordre de grandeur supérieur à l'existant.
Certains pourraient y voir un frein à la possibilité de créer et proposer de meilleures interfaces par progression incrémentale. Mais ne faut-il pas plutôt le prendre comme un défi fondamental de la recherche en IHM ? Toute recherche, étant donné les investissements qu'elle demande, n'aurait de justification que si son impact potentiel est effectivement trés important. Il ne serait donc pas nécéssaire de proposer des alternatives 'incrémentalement meilleures' aux systêmes de fenètrage et paradigmes de manipulation directe existant. L'objectif de la recherche en IHM doit être de ne s'attacher qu'a ce qui change fondamentalement l'approche qu'a l'utilisateur de son outil, ou bien, de ne proposer que des apports incrémentaux, mais s'insérant dans l'existant sans s'en affranchir en tentant de le reconstruire en mieux.
Le marketing a des demandes trés similaires aux solutions que propose l'IHM pour s'assurer de la satifaction du client et déterminer les offres technologiques nouvelles à sa disposition pour conquérir de nouveaux marchés.
Par une réification des apports du marketing, on pourrait avancer comme Don Norman [5]: c'est au spécialiste de l'IHM de savoir 'marketer' son savoir-faire au sein de l'entreprise, pour le plus grand bénéfice des utilisateurs, des entreprises et de l'interaction homme-machine.