Thomas Baudel, ecrit vers Octobre 1994.
Le texte suivant est un début de réflexion sur la
réalité augmentée. J'ai néanmoins quelques
difficultés à trouver un terme adapté à la place de
"réalité augmentée". Peut-être quelqu'un a une
meilleure idée sur le sujet ?
Apparue en 1992
[Mackay,
et al. 1992],
la "réalité augmentée" peut être
considérée comme un nouveau paradigme d'utilisation des
technologies de l'information. Un consensus semble se dégager pour y
percevoir un concept à l'avenir riche, plus riche sans doute que les
"réalités virtuelles", auquel il est souvent rattaché
alors qu'il s'en veut le pendant.
Force est pourtant de constater des divergences dans l'interprétation du
terme. Alors même que de nombreuses équipes de recherche
travaillent sur ce domaine ou s'en réclament, leurs travaux semblent
pourtant ne pouvoir se lier entre eux ou s'éloigner de ce que nous
entendons par "réalité augmentée". Il nous faut bien
admettre que les diverses tentatives de définitions ont souvent
été orientées par une définition "en
négatif": l'inverse de la "réalité virtuelle",
plutôt que dans une direction constructrice (voir l'éditorial de
[Mackay, et al. 1992]).
L'objectif de cet article est d'en chercher une définition convenable,
et surtout de solliciter les bonnes volontés pour trouver une
dénomination plus conforme aux usages scientifiques français,
lesquels, selon nous, ne se satisfont pas de juxtapositions de termes
"frappants", mais cherchent des termes étymologiquement univoques par
l'emploi de racines grecques ou latines.
Quelques travaux antérieurs aux années 90 peuvent être
considéré comme instigateurs du domaine:
- tout d'abord tous les travaux en domotique et sur les capteurs
environnementaux (température, lumière, présence...) qui
remontent aux années 60 ou sont même antérieurs.
- les travaux et l'anticipation de Myron Krueger peuvent par certains aspects
évoquer la réalité augmentée (videodesk,
1970...)
- les travaux sur les espaces médiatiques et leurs
propriétés ("un trou dans l'espace") menées aux Xerox PARC
dans les années 80.
- On peut considérer deux travaux ayant réellement exposé
la problématique de la réalité augmentée en tant
que telle: Mark Weiser
[Weiser 1991],
et le numéro spécial de CACM de Juillet 1992
[Mackay, et al. 1992].
Tout d'abord dénommée "virtualité incarnée"
(embodied virtuality) par Mark Weiser, celui-ci s'attache à
présent au terme "informatique disséminée" (ubiquitous
computing), qui se distingue de la réalité augmentée, mais
présente suffisamment de similitudes pour que nous assimilions les deux
termes au sein d'un même domaine.
On distingue toujours dans ces appellations la volonté de se positionner
en contre vis à vis des réalités virtuelles, qui passent
souvent comme le paradigme "ultime" en matière d'interaction
humain-ordinateur. Les promoteurs de la "réalité
augmentée" considèrent la richesse de ce qui fait notre univers
réel et nos capacités d'actions dans celui-ci. L'objectif "final"
de la réalité virtuelle est aussi vain que ne l'est celui de
l'"intelligence artificielle" telle que pouvait la concevoir Turing. Autant que
vouloir modéliser la complexité du raisonnement humain dans sa
totalité dans une machine, vouloir représenter dans une
mémoire informatique une alternative à notre univers réel
autrement qu'en en faisant un médiocre pastiche tient plus du fantasme
que de l'objectif scientifique. C'est pourquoi je me réfère
personnellement à ces deux termes comme des mythes : le mythe de
l'"Intelligence Artificielle", des années 70, le mythe des
"réalités virtuelles" des années 80. Bien sûr, il
convient de distinguer dans ces domaines des travaux effectifs de recherche
ayant un objectif plus limité, dont la valeur n'est elle pas
diminuée.
Un certain pragmatisme, une vision écologique de l'informatique ont
débouché sur une autre vision de l'avenir de l'informatique et de
l'interaction humain-machine. Cette approche cherche à enrichir de
capacités nouvelles, plutôt qu'à substituer. En accord avec
un des critères ergonomiques fondamentaux, la
compatibilité, il s'agit de préserver autant que possible
notre expérience du monde réel, en se contentant d'ajouter, de
façon discrète et transparente, plutôt que changer nos
habitudes ou essayer de fournir une alternative qui n'offrirai qu'une
caricature de solution à nos besoins.
Avant de décider d'une dénomination, nous caractérisons de
façon plus précise et plus pragmatique l'objectif de la
"réalité augmentée" :
Elle vise, selon nous, à "augmenter" les propriétés des
objets de notre entourage de capacités de traitement d'information. En
sus de leur fonction matérielle (ergotique), ils acquièrent une
dimension informatique (sémiotique), par leur capacité de
réagir non pas aux seuls phénomènes physiques auxquels
ils sont soumis, mais aussi aux informations qu'ils captent sur
l'état de leur entourage (personnes, environnement, autres objets
"augmentés"...).
Une caractéristique essentielle en est le transfert du lieu de
l'interaction: le système interactif n'est plus un lieu mais un
environnement. L'interface n'est plus un face à face, mais se dissous
dans l'espace et les objets de notre entourage. L'utilisation d'un
système de traitement d'information n'est plus exclusivement un acte
conscient et intentionnel.
*** à détailler ***
Digital desk, Tabs, Pads and Boards, Charade, Feiner et al. (ou Chameleon)
Distinguer les trois termes : VI, ID et RA
*** Ce chapitre cite en vrac quelques problématiques
étudiées actuellement
à compléter : classer les thèmes,
référencer, détailler... ***
(Weiser), réseaux denses, faible débit par appareil, faible
consommation d'énergie, "référencement" (registration),
"Projection", confidentialité, syndrome d'immersion,
"utilisabilité", architecture logicielle (agents...),
intégration, "séparabilité" (passer du face à face
à l'environnemental), périphériques d'entrée
(actif/passif), capteurs de contexte, ...
*** classer quels domaines pourraient profiter de la "réalité
augmentée" et quelles sont ses limites ***
domotique, bureautique, "intégration du travail en ligne et hors ligne"
(blueprints), environnements de travail et de contrôle, collecticiel
(espaces média), automatique (conduite)...
Là ou il y a vraisemblablement peu d'enjeux:
la ou le "travail d'information" domine, le "face à face" obligatoire
pour établir une bande passante" suffisante
-> Étude de marché, impact sociologique
Comme on l'a vu précédemment, on emploie de façon
(presque) synonyme trois termes: "virtualité incarnée" (embodied
virtuality), "informatique disséminée" (ubiquitous computing) et
"réalité augmentée" (augmented reality). Tous trois issus
d'expressions anglo-saxonnes, ils illustrent assez bien le concept, de
façon relativement concise. De façon relativement pragmatique,
ils ont surtout pour avantage de marquer l'esprit et d'être donc facile
à retenir et à identifier.
*** préciser les distinctions à établir: "VI" = inverse de
réalité virtuelle, "ID"= systèmes de traitements de
l'information "omniprésents" (ubiquitous), collectifs et multiformes,
"RA"= objets dotés (directement ou en apparence) de capacités
informatiques.***
Cependant, il sont concurrents et ne satisfont pas notre habitude de
désignation précise et univoque des domaines scientifiques et
champs d'études.
Est-il besoin de rappeler les contributions du français à la
terminologie informatique ? Le mot même informatique, est traduit en
anglais par "computer science". Comme le fait remarquer Jacques Arsac, un tel
usage pourrait se comparer à désigner l'astronomie comme la
"science des télescopes", c'est à dire qu'il déplace le
champs scientifique de l'objet étudié à l'instrument
servant à l'étude, et prête donc à confusion. Le
français a l'apanage de nombreux autres termes plus précis et
plus satisfaisants que leurs homologues anglo-saxons : ordinateur (par
opposition à calculateur), logiciel (plus satisfaisant
étymologiquement parlant que "software"), collecticiel (ou
synergiciel)...
Face à l'approche anglo-saxonne du langage, où les
néologismes construits par juxtapositions de termes traduisent l'esprit
pragmatique, la recherche d'"effets", la pratique scientifique
européenne (continentale) en matière de néologismes
consiste à construire de nouveaux termes en puisant dans les racines
grecques et latines.
Nous proposons ici quelques racines susceptibles d'être utilisées
pour construire une dénomination adaptée de la
"réalité augmentée". Aucun des termes que j'ai
trouvé jusqu'à présent ne me satisfont, et l'objet de ce
message est précisément de solliciter d'autres idées
similaire afin de déboucher sur un terme satisfaisant.
Ce que nous cherchons est un terme signifiant : "la science (ou la technique)
des choses/objets (sens matériel) informatisés (càd
traitant de l'information)".
- tique : suffixe substantivant signifiant "technique", "manière
de (action du verbe)"
- ?ciel : j'ignore le sens de ce suffixe.
grec:
domo- : domotique est déjà pris; domos en grec signifie le
foyer ("home"), mais aussi l'environnement courant, les choses de tous les
jours.
poèma- : poïeõ en grec signifie faire (au sens
abstrait du "do" anglais, par opposition au "make", sens concret). Le suffixe
substantivant "-ma" signifie "la chose résultant de (action du verbe)".
"ta poïema" peut se traduire par "les choses". Ainsi,
étymologiquement, un poème est un objet "conçu",
"immatériel", et n'a pas de relation particulière avec le
langage, écrit ou prononcé. Je serait tenté de dire qu'un
logiciel est en ce sens quelque chose d'assez proche d'un poème...
Avouons le cependant: "poèmatique" est original, mais pas
adapté.
latin:
chose
objet : ob-jac-tus : qqc à quoi on est confronté,
matériel ou immatériel. objectique ? bof...
Sans voir de préfixe adapté, il est possible qu'un préfixe
aide à préciser le sens recherché.
En bref: sur ce chapitre, je crois que la démarche est bonne, ne manque
que le vocabulaire...
Comme précisé auparavant, l'objectif de ce message est de
susciter une discussion sur ce thème, de solliciter des proposition de
termes plus adéquats pour dénommer ce champs d'études, et
enfin d'entamer une classification en sous-domaines : problématiques,
enjeux, exemples... (voir paragraphes non rédigés).
Si quelques personnes de 'InteractiF' sont motivées, peut-être y
a-t-il lieu d'approfondir le débat, voire de prolonger cet
échange en une publication collective ?
[Mackay, et al. 1992] Mackay, W., Wellner, P. et Gold, R.,Special Issue on Computer
Augmented Reality, Communications of the ACM. Vol. 23, 7. 1992.
[Weiser 1991] Weiser, M.,The computer for the twenty-first century,
Scientific American. Vol. , September p. 94-104. 1991.
(traduit en Français dans le numéro de "Pour la science": les
réseaux informatiques de l'an 2000).